Courir
Courir c'est
Courir, c’est aller au bout de ta vie
dans ce monde qui te prend en otage
dans un perpétuel apprentissage
Courir, c’est des montagnes à gravir
et des terres à ravir
c’est des collines à escalader
des sentiers à dévaler
c’est des routes à parcourir
et des villages à découvrir
et puis du bitume des virages
et des pas sur la plage
courir, c’est de la mousse et des pierres
de la boue et de la terre
courir, c’est des prés mouillés
des barbelés rouillés
et des vaches amassées
qui te regardent passer
courir, c’est des soleils levants
des soleils couchants
toujours changeants
toujours mordants
c’est du froid glacial
et des chaleurs estivales
c’est du vent à défaillir
des déserts à faiblir
courir, c’est des paysages
et ce sont des mirages
c’est des nuits sans sommeil
sous des lunes toutes pareilles
c’est ce regard tourné vers l’intérieur
quand tu frôles l’extérieur
courir, c’est des kilomètres
avec ou sans chronomètre
des foulées sans compter
des accélérations sans cesse perturbées
c’est un corps fatigué qui continue
en partage avec des inconnus
c’est des paroles sans détour
des amis pour quelques jours
c’est un défi lancé et relevé
c’est l’au-delà à ta portée
courir, c’est des efforts
suivis de réconforts
c’est de la sueur du sel mêlés
et des douleurs accumulées
c’est une longue solitude
devenue habitude
une soupe d’endurance et de résistance
un mélange de persévérance et de prudence
c’est une liqueur douce et enivrante
au goût persistant qui te hante
c’est comme une joyeuse maladie
dont jamais tout à fait tu ne guéris
c’est une porte que tu as franchie
pour te porter vers l’infini
courir, c’est aller au bout de ta vie
dans ce monde qui te prend en otage
dans un perpétuel apprentissage
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Je me suis vu courir
Je me suis vu courir
au centre d’une pelouse
dans un matin de rosée,
face au soleil montant
dans un rayon de brume
qui me guide sur le seuil
des portes de l’étrange
où courir est un envol.
Je me suis vu courir
sous le regard de Touaregs
en flottaison sur un lac asséché
dans le désert des solitudes.
Je me suis vu courir
à la poursuite d’un brame
quant le cerf devient haletant,
courir dans des forêts
gravées de légendes
qui n’autorisent l’arrêt.
Je me suis vu courir
sur la mousse des pierres
entre des troncs filant
dans un crépuscule vert.
Je me suis vu courir
aux versants de montagnes
et devenir torrent d’écume.
Courir dans des polders
aux côtés du goéland
vers l’insaisissable mer.
Courir dans les parfums
que le vent respire
sous le regard des saisons.
Courir en ivresse
dans les vignes d’un domaine
dont le vin est réservé aux dieux.
Courir à la poursuite de l’instant
pour m’y blottir en équilibre
et rester là, immobile.
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AVANT L’ARRÊT
Je cours sous les vents du nord qui hantent
Je cours dans les forêts gémissantes
Je cours aux rythmes de mon cœur glacé
quand mon esprit devient ankylosé
Je cours sous le vent d’est venu du continent
je cours sous l’oiseau de fer aux ailes d’argent
je cours à la poursuite de mes amours
quand je pleure l’oubli des jours.
Je cours face aux vents du sud asséchants
Je cours fixant les mirages alléchants
Je cours transpirant dans une mer de blé d’or
quand l’ondulation fait frissonner mon corps.
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Paris Marathonien
Sous le soleil pâle et hagard
le soutien d’apaisants regards,
ravive la délectation effrayée
du pourquoi présent frigorifié.
Au creux de l’estomac, l’incertitude
murmure des maux de solitude.
Les corps se serrent et se placent
pour l’ombre nul espace.
De ses rêves en errance
la masse exalte la puissance,
chacun si seul est millier.
Dans l’instant particulier,
des volutes de délire résonnent
pour l’incrédule personne,
par le hasard spectateur
jurant un jour d’être acteur.
Vous, organisateurs, s’il vous plaît,
élisez au panthéon du fair-play
la transhumance asphaltique
sur ces champs sans fanatiques,
lâchez de l’arc les flèches emballées,
pour ce futur triomphe étalé.
Déclamez l’heure de la libération
pour l’adrénaline en action.
La ligne de départ martelée
hurle des aigus contrôlés.
La transcendance des anonymes
libère sur l’avenue des hymnes,
flots de courage pétillants
dans débardeurs flamboyants.
Courant en concorde fraternité
unis par l’identique volonté,
la pédestre résonnante rythmique
percute un Louvre en panique.
Balayant les corps mouvants
le souffle devient vent.
Les impétueux maquillent
leur détresse à la Bastille.
Au zoo c’est la révolution
pour l’humaine attraction.
Sortir du bois de Vincennes
pour la virée des bords de Seine.
Sur des poignets chronomètres
le temps en contraction est maître.
Et ce mur du trentième gravé
de souffrance éprouvée.
Perdant leurs jeux à Rolland Garros
ils ébranlent leurs os.
Le regard s’accroche,
sur des échardes d’encouragement proches.
Boulogne en virages
pour un final de mirages.
Place Dauphine le torrent d’obsessions
ivre de tout, inonde de vénération
le tapis rouge d’honneur,
frissonnant d’un authentique bonheur.
Sillonnés de sel ces visages,
reflètent leur victoire en message.
L’avenue Foch l’acte acclamé,
le flux en marais est transformé.
Pareils aux joncs par leur maintien,
ils recherchent l’eau en soutien,
identiques aux fruits arquant leur tige,
la médaille souvenir les fige.
Ils étaient partis pour se trouver,
entrouvrant le portail du moi,
sur le seuil se figèrent en émoi,
face au jardin de la vie,
les fleurs de possibilités
ont des parfums d’envies,
demain,
ils repartiront de peur de s’ignorer.
Quarante deux kilomètres c’est si peu.
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Mon ombre
Je cours sous des rires d’incompréhension
je cours cherchant le futur en obsession
je cours là-bas demander qui je suis
à cet enfant solitaire qui s’enfuit
je cours ce matin pour mon cœur qui s’éveille
je suis la sève des jours de premier soleil.
Toi compagne de mes courses effrénées
viens, je te promets de hautes envolées.
La brume est transpercée d’un doux rayon
réchauffant les tendres bourgeons de l’hêtre
la nature s’étire sous le chant de l’oiseau
c’est sûr, ce matin il va faire beau.
Je cours dans le doute d’une jeunesse perdue
je cours à la poursuite de l’adulte venu
je cours en obsession pour une victoire
j’ai ce vertige de la modeste gloire
je cours à frôler l’extase d’un vol planant
et pour signature inscrire un temps.
Tournante sous mon corps toujours tu me portes
et me supportes quand le moi m’emporte.
Les foins et les marguerites sont coupés
la chaleur a peint les prés de jaune
la lourdeur de l’air est électrique
c’est sûr, ce midi il va faire très chaud.
Je cours dans l’instant en obstination
sans connaître la dernière destination
je cours avec mon cafard sous l’addition des ans
je cours en poursuite de ces nuages filants
pour de leurs pleurs me laver de mes rêves
je cours frôlant les limites sans trêve.
Pardon mon ombre d’avoir couru en déraison
je voulais tant voir le derrière de l’horizon.
Les rayons obliques d’un soleil d’octobre
transpercent les nuages lourds ardoise
sur le vieux chêne le vent se lève
c’est sûr, ce soir il va pleuvoir.
Et puis un soir, indocile un peu ivre
paralysée, tu as ce refus de me suivre
accusant la fatigue de ce trop long voyage
quand celui-ci ne sait que clamer mon âge
alors je m’assois face à ce qui me hante
enfilant l’uniforme d’une nuit absorbante.
Me présentant au départ de la course des fantômes
je cours libérant dans l’univers mes atomes
et la, dans l’absolue liberté du néant, je cours.
Je cours.
Sur la plaine des fumées blanches s’élèvent
sur le talus rougissantes fougères pourrissent
la campagne écoute le doux silence de froid
c’est sûr, cette nuit il va neiger.
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Les courses parallèles
1914
Les godillots frappent la boue.
Je cours,
Car je suis le signaleur du matin.
Trébuchant, glissant, je cours,
Mes jambes lourdes si lourdes.
Sur mon manteau bleu,
la peur si lourde s’agrippe,
le barda frappe mes reins,
Courir, vivre !
Dans le bruit de mille tonnerres,
Je ne sais si je vis.
Je suis un fantôme si fatigué,
sous cette pluie de fer si drue.
Courir, plus vite courir,
la folie me transcende,
cadences de la déraison.
M’arrêter, je ne peux,
la mort pour l’arrêt.
Courir, car je suis le signaleur.
Signaleur d’agonisants en solitude,
cantonnés dans leur tranchée.
Misant leur vie sur ma fonction,
Chercher de l’aide est l’ordre reçu.
Mais combien de signaleurs
ne se sont jamais signalés.
Je suis pigeon, coureur dans l’horreur,
remplaçant de volatiles, signaleurs d’hier.
Tués par tir réel ou
disparus à tir d’ailes.
Courir, toujours courir.
Je suis en perdition,
dans la recherche d’amis sauveurs,
Mais qui ou quoi peut sauver cette déraison.
Vers qui vais-je ?
Je ne perçois plus rien.
Le terrain, les cadavres troués, mutilés,
Plus rien n’est droit, tout est touché, couché.
Je cours dans le hasard glacé,
un brouillard non naturel me ralentit.
Le hasard a pris consistance.
Mes poumons l’embrasent au plus profond de moi.
Courir, courir pour éviter,
celle qui scelle le sort par tirage,
celle qui a déjà couché tant d’amants.
Grande amoureuse de la folie humaine.
Courir, courir et cette sensation de perdre.
Courir, insuffisamment vite.
Elle me rattrape je la sens.
Elle me touche, courir, impossible
Je tombe,
La douleur me tient en flottaison,
L’esprit comme le cœur ne savent plus quoi faire.
Je n’entends plus rien, immobile sur ma terre.
J’hésite à la suivre.
Permets-moi de te tutoyer, toi si proche.
Madame la mort,
pourquoi ne m’as tu pas pris ?
Pourquoi pars-tu avec l’une de mes jambes ?
Cours-tu insuffisamment vite
pour chercher mes camarades ?
Non, je ne peux et ne dois me soumettre.
Ce fusil utile que pour mon appui,
ne tuera point mais sauvera.
Ainsi, je suis le signaleur rampant.
1974
les pointes s’accrochent à la boue.
je cours,
car je veux me signaler en ce matin.
Soufflant, persistant, je cours,
mes jambes sont lourdes si lourdes.
Sur ce maillot bleu,
la sueur imprégnée s’affiche,
une côte me fait mal aux reins,
courir pour vivre.
Dans le bruit des encouragements,
je suis si vivant.
Sensation euphorisante,
sous ces regards envieux.
Courir, plus vite, courir.
Pour cadence mener avec raison,
la gagne me transcende,
m’arrêter je ne peux,
la non-victoire je ne veux.
Courir, car je dois me signaler,
signaler mon capital physique
caché derrière cette timidité.
Misant ma future vie sur cette action,
chercher la victoire est l’ordre reçu.
Mais combien de coureurs
ne se sont jamais signalés.
Je vole, coureur dans le bonheur,
planant comme l’avion sur ma tête.
Moi l’inconnu d’hier,
reconnu demain.
Courir, courir, toujours courir,
je suis en perdition,
dans la recherche d’une ligne à franchir,
vers elle je vais.
elle si loin.
Je ne perçois plus rien.
Le terrain, les pavés, déformés, usés,
plus rien n’est droit tout est voilé, modifié.
Je cours mon dernier tour,
une voûte, un fossé non naturel, on me guide,
le fort a pris consistance.
Je le traverse seul en tête.
Courir, courir pour exister.
Faire partie de l’élite,
rêve palpable dans cet instant.
Besoin de lever la tête, poser les yeux
sur ces visages inconnus
sur l’uniforme voulu.
Courir, courir et cette sensation de victoire.
Courir suffisamment vite.
Elle me rattrape, je la sens.
Elle me touche, courir, impossible.
Je ne suis plus,
l’indescriptible me tient en flottaison,
l’esprit comme le cœur ne savent quoi faire.
Je n’entends plus rien immobile sur ma ligne.
J’hésite à la franchir.
Permets-moi de te tutoyer, toi si proche.
Madame la Brigade mère
des sapeurs-pompiers de Paris,
pourquoi m’as tu pris ?
pour être bijou à ton doigt
et pendant quinze années
me façonner, me polir pour briller,
à la face de corps envieux.
Ainsi, je l’avais si fortement voulu.
Tu ne pouvais savoir
j’ai dû te le signaler
moi le petit-fils du signaleur.
Et courir, courir si vite,
aujourd’hui
tous les deux,
vers l’oubli.
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